Pas après pas, il me semblait, de nouveau, goûter à la vie d’avant. Une vie d’avant qui ne serait pas tout à fait comme avant puisqu’elle était présente. Une vie qui avait perdu sur le champ de guerre quelques unes de ses couleurs, qui en retrouvait d’anciennes, qui en découvrait de nouvelles.
Depuis plusieurs jours, le vent soufflait avec force sur cette renaissance, amenant dans un même quart d’heure, gros nuages noirs, pluie abondante, fraîcheur, ciel bleu, soleil, douceur. L’humeur du ciel était décidément perturbée. J’en ignorais la cause véritable. Etait-il en colère? Triste? Amer, le ciel ? Ou désirait-il une bonne fois pour toutes chasser ces tourments, ces souvenirs éprouvants? Le temps d’un grand ménage. Les dieux avaient peine à s’accorder. Il y avait de la querelle dans l’air. « Atmosphère, atmosphère… » Faire face au vent était épuisant. Le vent me rendait fou. Je préférais être poussé, entraîné par lui à marcher, qui sait, à m’envoler:
Je laissais au repos ma voiture pour emprunter mes pieds et me laisser transporter par eux à travers les allées, les trottoirs, les escaliers, les trains, les bus, les tramway, les bateaux.
Je goûtais au premier concert de la ré-ouverture du Petit Café de Rezé avec Marcovitch, l’accordéoniste, et ses airs des Balkans, dans une ambiance conviviale.
Je goûtais à la première rencontre organisée par la Maison des Correspondances poétiques que j’avais la joie de co-animer. Bambou nous avait gentiment accueilli sur la terrasse de son magnifique jardin. Nous étions dix, réunis en cercle, à partager des mots et des sourires. Dix à sauver le monde !
Je goûtais à mes retrouvailles avec le Lieu Unique à travers l’exposition, enfin, accessible et visible sans écran interposé: « Université des Futurs Africains ». Le jeune homme à l’accueil me renseignait sur le programme. Les propos des artistes me paraissaient alléchants. « L’exposition invite une vingtaine d’artistes du continent africain et de sa diaspora qui remontent dans le temps pour déconstruire les clichés sur le rapport de l’Afrique au futur et se demandent de quels savoirs et de quelles histoires nous avons besoin pour comprendre et imaginer les mondes de demain ». J’étais impatient d’entrer et de découvrir cette Afrique de demain. Les plantes disposées à l’entrée me laissaient présager le meilleur. Hélas, j’allais de déception en déception. Une multitudes d’écrans, d’images juxtaposées, d’ondes brouillées, de zapping, de propos incompréhensibles dans un brouhaha continu d’où ressortaient quelques éléments issus de notre monde, des pierres disposées en cercle évoquant les menhirs de Carnac et le culte des morts, des poutrelles agencées les unes aux autres pour former des cabanes hexagonales aux murs de fils, un monticule d’ordinateurs désossés, des câbles qui pendent, un individu, affublé de drôles de lunettes, vivant dans une réalité virtuelle… Dans ce chaos ici présent, où se trouvait le Futur de l’Afrique ? Une Afrique que je voyais comme la décharge d’une société occidentale dépendante de sa surconsommation de mots, d’images, de concepts ésotériques, d’informations, de messages, une société obsolète qui avait perdu toute sa beauté, toute sa simplicité. Une société bruyante, incapable de s’entendre et de s’exprimer avec clarté. Dans le Futur de l’Afrique, je ne percevais plus l’Afrique, si ce n’est une Afrique avec des masques traditionnels, des pierres, deux cabanes et quelques plantes. L’Afrique m’était nouvelle, inconnue, également tourmentée par un vent qui soufflait avec force. La folie semblait guetter l’avenir, de la Terre jusqu’au ciel. Où trouver un chemin paisible ? Je sortais déçu, frustré. Ma joie était retombée.
Je marchais le long de la Loire. « 40 pieds ». Le temps d’une pause à cette guinguette ré-ouverte à son tour, parmi des visages d’arbres, face à un vieux escorteur militaire accosté jusqu’à la fin de ses jours au Quai de la Fosse. Le Musée de la guerre. Existait-il un musée de la Paix ?
Je rejoignais à quelques pieds la Gare maritime. Une longue fil d’attente. Du jamais vu. Pour attendre un Batobus qui se faisait tant désirer sous un vent glacial. J’apprenais la patience. L’espérance. Bientôt, je serais au port des pêcheurs, sur l’île du passé, de ces bonheurs qu’on aimait revivre. Juste un triangle à effacer, d’un commerce peu éthique ni équitable.
Il me restait ce Lundi de Pentecôte à ré-inventer. Le vent agitait encore le ciel. Pas de repos pour l’Homme nouveau. Et la Femme ? La Femme connaissait la valeur de la vie. Le jardinier avait disparu. Il restait ses bottes. L’esprit soufflait. Faire de nos vies une caresse, un sourire, une prière. La Cantine retrouvait vie. La Brasserie, aussi, de l’autre côté du fleuve. Imposante. Vue imprenable sur les flots mouvementés. Suivre la ligne verte. Une Lune. Bondir comme un enfant sur les rêves. L’éléphant s’était caché, endormi. Avait-il retrouvé son pays? Ses racines ? Le Grand Manège tournait. Quelques gens traversaient le vent avec détermination. D’autres, sous les Nefs, dansaient la capoiera. La danse du combat. Une libération. Il en était, ainsi, de tant de vies, qui, pas après pas, ré-apprenaient, comme elles pouvaient, à exister, entre nuages noirs et ciel bleu.
Thierry Rousse
Lundi de Pentecôte, le 24 mai 2020, Nantes
« A la quête du bonheur ».