Le temps d’une pause

 

Le pic avait été atteint. Le Grand Chef parlerait demain à 20 heures. Que nous annoncerait-il , le Grand Chef ? Des voix de couloirs laissaient entendre que ses mots changeraient. Il ne serait plus question de déconfinement mais de confinement allégé. Me sentirais-je, demain, allégé ? Reprendrais-je mon envol ? Mes ailes étaient devenues subitement lourdes, très lourdes en ce samedi matin, si lourdes qu’il m’était impossible de soulever une plume de la journée pour écrire.

Nous avions atteint le pic tels des montagnards. La montée avait été éprouvante, incertaine. A tout instant, nous avons risqué une entorse, la perte de nos forces, la dégringolade. Le temps changeait vite en montagne. Nous avions beau nous préparer, nous organiser, prévoir notre équipement, nos réserves, nous n’étions pas à l’abri d’un imprévu. La nature restait l’unique maîtresse. Déterminés, nous voulions atteindre notre but, ce pic. Pourquoi ce pic ? Pour dire : « Nous y sommes, nous l’avons atteint » ? Un sentiment de réussite, de fierté. La fierté des géants. Ce qui nous paraissait immense, très élevé, inatteignable depuis la vallée, nous y étions. Nous découvrions enfin notre vie vue d’en haut. Nous relativisions. Comme nos pairs étaient soudain minuscules, à peine visibles, voire pas du tout visibles. Etais-je comme l’un de mes semblables, invisible, au regard de ce pic si puissant ? Que valait ma vie ? Ma fierté d’avoir atteint ce pic, mon émerveillement n’avait qu’une durée éphémère. Je savais bien que je ne pourrais pas vivre tout là, qu’il me faudrait redescendre en bas, dans la vallée, parmi les miens. J’éprouvais même une hâte, à cet instant, à retrouver mes semblables. La peur en haut de ce pic, tout seul en haut de ce pic, envahissait mes pensées. L’écho de ma solitude n’amplifiait que ma peur. De lui, ne pouvais-je espérer aucune réponse. Descendre, descendre, retrouver les miens ! Je n’avais plus que cette idée en tête. Ma famille, mes amis, mes êtres proches… La convivialité d’un marché avec son fromager, son maraîcher, son poissonnier, le doux parfum d’une librairie, le romantisme d’un jardin ou d’une balade au bord de l’eau, la force d’un arbre, le serrer, l’enlacer… Ecouter battre son coeur… Descendre, retrouver les torrents, les herbes, les dernières fleurs avant l’hiver, les escargots endormis, les araignées fragiles, les fruits de la Passion, la vie … Descendre était devenu mon unique but. La descente pouvait être aussi rapide que risquée, épuisante. Je le savais. La vigilance était de mise.

Dans la vallée, dormaient, paisibles, à cette heure, les vaches. Le temps d’une pause.

Thierry Rousse

Nantes,

Lundi 23 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine »

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