Combien ça avait coûté
Ce changement d’enseigne
Et tout ce qui va avec
Tout ce tralala
Tralalère
Paulo avait été remplacée par France
France Travaille
Paulo Emploi se la coulait trop douce
France Travaille était le modèle d’une France en marche
Un train lancé à grande vitesse sur ses rails
France Travaille était active et réactive
Tout chercheur d’emploi nonchalant
Débraillé
Déraillé
Serait averti
Tout manquement à ses devoirs de chercheur d’emploi serait sévèrement puni par la loi
La loi avait été votée
Frappée quarante neuf fois
Ou quarante neuf trois
Frappée par qui déjà la loi
Par les représentants
Les représentants de qui
De quoi
De commerce
Bah
De nous
De nous
De nous tous
Quoi
Nos représentants
Elus à la majorité
Quelle majorité
Toute majorité était relative
Depuis longtemps
La plus grosse partie des citoyens ne votaient plus pour des idées
Mais contre des idées
La tête contre un mur
Par crainte du retour des extrêmes
En effet le grand méchant loup s’était glissé sur les bancs républicains
Père et fille ne faisaient plus qu’un
Sur son visage grincheux
Amandine
Avait de longs cheveux rouges
Aux yeux noirs
Certains individus patriotiques en étaient amoureux
Mais déjà dans tes pensées confuses
Qui tournaient en boucle
A l’état brut
Depuis pas mal d’années
Tu t’égarais sur un chemin pourtant tout tracé
Le chemin des non-voyants
Un soleil inattendu brillait sur le pavé
Éclatant
T’aveuglait sur tout le parvis de la gare du Nord
Brouillant tes pistes
Qui était qui
Qui pensait quoi
France Travaille cherchait sur ton profil où te caser
Te montrait tous ces sites fabuleux
De vrais labyrinthes qui te renvoyaient d’un nom à l’autre
Avec cette sensation au fond de vraiment
Vraiment mal tourner en rond
Puis France Travaille te demandait d’un air glacial
Avez-vous pensé à vous adapter au marché de l’emploi
La question était cruciale
Décisive
La page était blanche où tout semblait se jouer
Avais-tu pensé à t’adapter au marché de l’emploi
Marcel
T’adapter
Simplement t’adapter
A tes cinquante ans
Tu t’étais déjà adapté à ce monde déboussolé
A vingt ans
Peut-être pas assez
Peut-être pas assez
T’adapter jusqu’à plus être toi
Juste un corps qui se fond dans un moule
Avais-tu les compétences pour souder
Construire ces gros paquebots
Qui polluaient les océans
Pour le plaisir des yeux des gens riches
Ou vaincrais-tu ton vertige
Pour dominer les rues
Du haut de ta grue jaune
Élever la cité de demain
Jusqu’à son plus funeste destin
Flottant dans la marée haute
Ou garderais-tu la paix
Ou maintiendrais-tu l’ordre
Policière ou policier
Militaire ou militaire
Quel camp choisirais-tu
Quel sexe
Quel genre
Quel combat
La France recrutait à grands coups d’encarts publicitaires
En attendant d’entrer dans cette guerre mondiale
Comme des joueurs de foot dans leur vestiaire
Autant de questions posées
La guerre ou la paix
Les yeux dans les yeux de France
Autant de perplexités
Dans l’absurdité d’un monde depuis des siècles colonisé
Par de petits chefs têtus
Se plaisant à contempler leur nombril
Au milieu de l’apocalypse
Une coupe de Champagne à la main
Tout nus
Exhibant leurs attributs
Il te restait dans cette partouze l’écriture
Un crayon
Un stylo
Ou
Plus moderne
L’écran de ton téléphone chinois sans fil
Que tu pouvais emporter partout sur la Planète
Simple comme un bonjour
Partout
Partout
Tu pouvais te poser
Et écrire
Observer
Réfléchir
Écouter
Ressentir
Et noter
Noter
Les soubresauts
Qui traversaient
Tes pensées
Laisser la traînée des nuages s’écouler
Les percées du jour transpercer tes feuilles
Les tambours des tonnerres les froisser
Les gouttes d’eau en faire des petites bulles de papier
Petites bulles d’un jour
Petites bulles de toujours
Lorgnette où tu regardais le monde
D’un peu plus haut
Tu en cherchais les cimes
Les notes de musique
Il y avait bien une urgence à dire tous ses dérèglements avant qu’il ne s’effondre
Enseveli sous les eaux
Le monde
Un tsunami
A la moitié de ton siècle franchi
Ce n’était pas fini entre vous
Il y avait des points de suspension
Vous n’aviez pas fini de vous parler
Ton travail était aujourd’hui d’écrire
Correspondre avec elle
Te laisser emporter par tes ailes qui surgissaient
France avait été attaquée par les pirates des voies ferrées
Pleurerais-tu Marcel sur son triste sort
Les données des âmes avaient été volées
Les chercheurs dépossédés de leurs données
Un autre vivrait avec ton nom
Vivrait ta vie
Chercherait la perle d’or
Dans une Californie embrasée
Ruée vers les cendres
Te releverais-tu Marcel boulanger
Ta main d’artisan produisait chaque nuit un récit de vers ou de prose
Comme on façonne chaque jour la pièce d’un navire
Tu convoquais tous tes sens
Tu accueillais le temps d’une pause
Ce qu’une vie parmi des milliards avait à t’offrir
Le champ des rencontres en était infini
Et des mots
Tes doigts en ouvraient le débit
Tu laissais au souffle le soin des virgules
Des interrogations
Des exclamations
Tu effaçais les points
Tu écoutais l’écho des mots entre eux
Comment ils résonnaient dans ton palais
S’ils avaient le flow dans ta langue pâteuse
Tu cherchais la bonne rime
Le bon rythme
Comptant tes pieds sur tes doigts
Tu écrivais pour toi mais bien plus
Tu écrivais pour le monde et plus encore pour l’être ordinaire
Qui un matin te lirait par hasard distrait dans un bus
A cette heure tu comptais aussi les quelques ami.es
Qui suivaient sur le fil d’un blog tes écrits
Des pouces et des coeurs flamboyants
De ton vivant en vogue
Tu n’en compterais peut-être
Qu’une poignée de gens
Ton minuscule auditoire
Nourrissait tous tes espoirs
Consciencieux chaque fin de mois
Silencieux tu imprimais tes livrets
Puis comme un enfant tu rassemblais
Dans ton cartable le poids de tes lettres
Tout fier avec ce sentiment d’être
Marchant sur un trottoir de Madeleine
Vers plein de scènes ouvertes
Gourmand
A ta fenêtre dans la nuit
Tu clamais tes textes
Peut-être sous la Lune d’un éditeur
Rempli d’argent qui passerait par là
Te tendrait un mât
Et ferait de ton livre un best-seller
Le pirate du temps
Dans les derniers jours de ta vie tu verrais une lueur
Traces sur le sable rien que des mots d’amour
Les êtres perdus y accrocheraient leur voile
De tes images de tes mots leurs baisers en tisseraient une toile
France et Paulo s’enlaçeraient
Se confonderaient
Et feraient de l’amour un travail
Nonchalant
Actif
Et réactif
Un monde comme une arche renaîtrait
L’écriture
Des ratures
Des fissures
Dans un mur
Juste
Juste pour laisser passer la lumière
Et
Transparaître
Etre
Thierry Rousse
Nantes, mercredi 3 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"