Tu étais encore un enfant
Tu pleurais
Tu criais
Tu ne voulais plus voir ça
Plus voir ça
Plus voir ça
C’est le tonton Joe
Qui avait tenu absolument
A vous emmener tous
A vous arracher à vos douces Cévennes
Finies vos paisibles vacances au bord de l’eau
Toi, ton frère, ta mère, ton père
Vous deviez tous suivre le tonton Joe
Tous embarqués dans sa belle Opel
Pour aller voir cette corrida
Dans les arènes de Nîmes
Sur les gradins
Le tonton Joe
Tout excité
Aux dents saillantes
Clamait
S’exclamait
C’est époustouflant
Regardez son costume flamboyant
Quel athlète
Quel artiste
Quel virtuose
Ce matador
C’est du grand spectacle
De l’opéra
De la danse
De l’acrobatie
De la finesse
De la dextérité
De l’audace
Du courage
C’est la tradition
De tout un peuple
Ses origines
Son sang versé
Sa force
Sa beauté
Son union
Sa fraternité
L’homme dans sa toute puissance
L’homme dans toute son excellence
Tous les yeux de l’assemblée
Convergeaient vers le matador
S’identifiaient à son corps nu brodé
Parfaitement sculpté
Pour sortir de leur médiocrité
Voyaient dans le taureau le mal absolu
Le bien serait vengé
Peau torturée dans ses entrailles
Flanc d’une bête froidement exécutée
Sur la piste romaine ensanglantée
Toi
L’enfant
Tu n’étais déjà plus dupe
Toute vérité ne sortait pas de la bouche des grands
Ni des tontons Joe
Surtout des tontons Joe
Tu te cachais les yeux
Tu ne voulais plus voir ça
Tu en voulais au tonton Joe
Tu l’aurais bien jeté sur le sable
Corps poudré de paillettes
Dans cette arène
Le voir à la place de ce taureau
Piétiné baignant dans une marre de sang
Percé de toutes parts
Mais les grands avaient toujours raison
Et les tontons Joe avaient de grandes gueules
Ils brillaient d’éloquence
Dans leur élégance
La droiture de leur apparence
Toi l’enfant chétif
Tu étais condamné au silence
Rester jusqu’au bout
Jusqu’à la fin de cette tragédie humaine
Le taureau était mis à mort
La foule applaudissait
Le matador bombait son torse
Sous des salves d’applaudissements
Toute l’horreur de l’humanité dans une arène
Dans sa toute puissance
Son orgueil
Son ego exacerbé
Et ça se disait civilisation
Cette tradition masculine
Tu savais maintenant l’enfant
A quoi tu devrais faire face toute ta vie
La cruauté d’un phallus brandi n’avait pas de limite
Comment croire au monde des grands
Quand
Depuis des siècles
Ses toreros s’amusaient
A faire couler le sang des innocents
Était-ce bien sérieux tout ça
Tu avais vite compris
La fin était déjà écrite sur toutes les villes
Le jouet de ces barbares
N’avait aucune sortie d’issue
Saignant sur sa croix
Etre condamné
Aux mains et pieds troués
Comment croire au monde des grands
Était-ce bien sérieux tout ça
Quand des voix s’unissaient
Pour ériger en patrimoine national
La furie des lames et des balles
Les cris des larmes
Quand tout s’emballe
Comment croire au monde des grands
Quand on est un enfant
Comment croire au monde des grands
Quand on est un enfant
Thierry Rousse
Nantes, jeudi 16 mai 2024
"Une vie parmi des milliards"