Les Amours de Ronsard
« Vivre sans volupté, c’est vivre sous la terre »
Tu écrivais Ronsard
Ces mots devenus
Un tube
La légende des solitaires
Dis-moi
Entre nous
Ce soir
Qu’en étaient-ils de tes amours
Tes innombrables amours
Dont on ne pouvait qu’être éblouis
Au seuil de la nuit
L’effet
De tes décasyllabes
Si parfaits
De tes césures
Au juste point de rupture
De tes sons qui se répondaient
De tes deux mains légères
Sur un clavier de délicatesses
Où avais-tu acquis telles prouesses
Où puisais-tu tant d’inspiration
Pure fiction
Libre imagination
Musique dans ta tête
De ces temps de ta jeunesse
Sur les cimes de l’Anjou
Tout proche de ton ami Du Bellay
De ses doux paysages
Vallon où coule un flot sauvage
Ou sur les monts du Palatin
Les théâtres du quartier latin
Une plume libérée de sa cage
Reflet d’une âme sensible
Ayant Cassandre et bien d’autres pour cibles
Hélène Marie Vénus
Mes mots quant à moi
Sous la pluie nantaise
Avaient peine à entrer
Leur bon nombre de pieds
Rimant avec mes émois
Ma prose libre
Et Caroline
Quand toi bien plus à l’aise
Étais nettement plus balaise
Combien de lignes intarissables
Pouvais-tu aligner
Traces dans le sable
Vers qui ne s’effacent
Étaient milliers d’étoiles
Limon de Loire amassé
N’était plus navigable
Tout n’était que tendresse
Joie aliénée
Exaltation du printemps
A l’aube des bourgeons
Fleurs de baisers
Pourtant
Très vite
Tes sentiments faisaient obstacle
Au paisible débit de ta vie
Te fallait-il ces monts latins ou grecs
Pour te plaire à les gravir
Choisir l’impossible amour
Pour être élu troubadour
A la cour des romances
Du Roi
Faire vibrer les silences
A Blois
O
Face à toi
Ronsard
J’étais quoi
Asséché
A court d’idées
Sur les bancs du lycée
Univers cité
Jardin de la liberté
Quand tu glorifiais l’amour
De tes envolées
Lyriques
Arithmétiques
Académiques
O toi
Ronsard
Aurais-tu ému aujourd’hui
Toutes les scènes Slam
De Paris à Nantes
Bouche gagnante
De Lille à Marseille
Des lèvres qui s’éveillent
Gagné
Tous les trophées des flots et d’or
Jetant tes vagues à l’âme
Par dessus bord
Brisés
A la face des vents
Comme autant d’envies endurcies
O
Toi
Ronsard
Pierre fragile
Épris de passion
Déchirements d’un coeur
Élévation
Vers la beauté divine
Descente
Dans les gouffres des tourments
O toi l’âme du poète
Écartelée
Entre paradis et enfer
Toi qui avais pour muse
Une adolescente de quinze ans
Cassandre
Pour laquelle tu nourrissais
Le ravissement de sa perfection
Tes mots à ce jour
T’enfermeraient
Ou
Te pardonneraient
Sanction
Infraction
Ou
Permission
Prescription
Quel âge avais-tu quand tu fus saisi de son regard
Quinze ans toi aussi
Vingt ans
Ou plus
Dis
Quand
Elle t’a plu
Cassandre
Les Amours de ta vie resteront dans tes songes
Resteront là dans tes mots tendres
Ton cœur n’était qu’une éponge
Tes rimes ballerines
Attrapaient les vallons
Cueillaient les tétons
Des corps sculptés
De tes sons brassés
Tu rêvais de son corps
Fantasmes
Sous les étoiles
En dessinait sa danse
Et la dévoilait
De tous tes sens
De tes vaillants efforts
A trouver le bon accord
O
Toi
Ronsard
Toi qui ne cessais de peindre
Par tes mots
Dans les moindres détails
La femme que tu idéalisais
En chacune de tes muses
Toi
Qui la fardais
De tes désirs
Etait-ce cette femme que tu aimais
Ou l’idéal que tu t’inventais d’elle
Dans la chambre de ta plume
Etait-ce cette femme que tu aimais
Ou le poème que tu faisais d’elle
Etait-ce cette femme que tu aimais
Ou tout simplement toi qui te regardais
Dans ses yeux
O
Toi
Ronsard
Tu les contemplais dans le musée de tes curiosités antiques et bucoliques
O
Toi
Ronsard
Aimais-tu vraiment cette femme
Cassandre
Sa douceur
Sa candeur
Ou la passion qu’elle réveillait en toi
L’impossible amour sur Terre
Pour mieux viser le ciel
Faire de ses déchirures
L’éclat d’une écriture
Les héros de tes livres
Les avais-tu au-moins acquittées
Poète
De tout ce qu’elles t’avaient donné
Leurs yeux
Comme dieux
Uniques
O
Toi
Ronsard
Qui ne cessais de chanter l’impossible amour
Pourquoi m’avoir fait par la beauté de tes vers
Prendre ce chemin tortueux qui m’abîmait depuis ce jour sous terre
Poésie si belle
Et si cruelle
J’avais décidé de te quitter un matin
Et vivre de toutes mes ailes enfin
Quand aujourd’hui
Dans la solitude l’amère pauvreté
Vers toi
Brisé
Je revenais les poings liés
Pour essuyer mon âme
Élever mes larmes
O
Toi
Ronsard
Surpris par la colère
D’un coup de foudre
Accablerais-tu à présent la femme aimée de tous tes maux
Cassandre serait-elle à ce point si altière
T’offrant dans le creux de tes mains
Les fleurs fanées de son dédain
Lui ferais-tu porter la lourdeur de ton fardeau
La douleur de t’être laissé emporter
Aveugler par les mots trompeurs
Des mathématiques poétiques
O
Moi
Face à toi
Je n’avais pas compté mes pieds
Ni les palpitations de mon cœur
Que par ton flot fougueux
Je m’étais laissé emporter
A la nuit tombée
O
Toi
Ronsard
Plus tu écrivais ta douleur
Plus tu t’enfonçais dans ton malheur
Attisant le feu de ses yeux
Révoltés
O
Toi
Ronsard
Je t’avais trop suivi
Jusqu’au seuil de ta prison
Me perdant au cœur du Morvan
Sans Caroline je n’étais plus
Et toi non plus sans Cassandre
Pareil à toi
Tout mon être je lui avais donné
Quand elle m’avait quitté
J’étais une lune sans soleil
Qui étais-je au coeur de ce sombre été sans ma lumière de sourires
Qu’un vide errant
N’espérant qu’une unique chose
La retrouver pour me retrouver
Je voulais tout quitter
Déchirer l’océan de mes lettres
Et me jeter dans les tourments de ses vagues
Caroline prit d’autant peur
Cette nuit d’artifices
Et creusa entre nous
Un abîme fatal
O
Toi
Ronsard
Criblé de balles
De ta révolte
Te plairais-tu à souffrir
Jusqu’à faire de ta peine
La source de ton plaisir
O
Toi
Mon
Ami
J’avais dépassé le temps des confidences
Toi aussi largement
Pour espérer slamer sur une scène d’applaudissements
J’étais disqualifié
Hors jeu
Dans le jeu de l’amour
Toute une vie
A cultiver les amours impossibles
Un champ retourné
Stérile
Truffé de stèles
Si j’avais su
Si j’avais bu
D’autres vers que les tiens
Un autre vin plus doux
Sans doute je serais moins saoul
De regrets
Le coeur en paix
Cherchant son visage
Dans chaque beauté du paysage
La nature consolait l’âme perdue
Disait-on
Et lentement au passage des nuages
S’effaçait discrètement
Son nom
A la surface des nénuphars
Cassandre et Caroline
Se dévoilaient
Innocentes
D’un frémissement de feuilles
Surgissait
Le corsage de Marie
O
Toi
Ronsard
Au lit seul
Il te restait l’idée de ton amour
Allongée à côté de toi
Une écorce de corps
Vide
Tu finissais par t’avouer vaincu
Et m’interrogeais au grand soir venu
« Qu’est-ce que parler d’Amour sans point faire l’amour,
Sinon voir le Soleil sans aimer sa lumière ? »
Que pouvais-je te répondre
Qu’est-ce que parler d’Amour sans point être l’Amour
Sinon aimer la lumière sans être son Soleil
Disparaitrais-tu
Dans ton mirage
Ronsard
Comme un paladin
Traversant le paysage
D’un corps absent
Tant loué
La communion de deux êtres qui s’aimaient
Ne füt-elle qu’illusion
Que la pure invention de la poésie
O
Toi
Mon ami
Trouverais-tu consolation
Au crépuscule de ta vie
À l’aurore de ton vieil âge
Dans les songes érotiques
De tes personnages mythiques
O
Toi
Mon ami
En rien
Je ne te blâmais
Les roses
Tu les avais aimées jusqu’à leurs épines
Les corps jusqu’à leur âme divine
Toi
Pierre
Lunaire
Toi
Qui éclairais
Mes nuits
« Vivre sans volupté, c’est vivre sous la terre »
Thierry Rousse Nantes, jeudi 29 avril 2024 "Une vie parmi des milliards" Ronsard, « Les Amours », Gallimard