Une page blanche. Les premiers mots posés sur une page blanche. Deux mots qui se rencontraient, se regardaient, se vouvoyaient. Deux mots qui apprenaient à se connaître. « Bon », « soir », le commencement d’une phrase . Le soir serait bon, je le désirais ainsi.
Hier soir, de retour de mon travail, quand BFMTV s’interrogeait : « Le confinement, qu’est-ce qu’on attend ? » , France Culture nous interrogeait : « Comment l’art va se sortir de la crise? ». Je choisissais la seconde question de ce grand jeu public. Alejandro Jodorowsky, écrivain et cinéaste, répondait à France : « On est esclave de l’économie et l’économie est en train de détruire la planète… L’art a perdu sa signification… C’était devenu une affaire… De quel art on parle? … L’art guérit les consciences, développe les consciences… La méditation… Etre libre… Etre libre, c’est se connaître vraiment… Le but de l’art est de guérir l’humanité ».
Je m’interrogeais: « Comment nous allons nous sortir de la crise ? Grandis? Plus forts? Plus fidèles? Plus unis? Plus intègres? « . Les Chefs ne faisaient qu’essayer d’éteindre un feu qu’ils entretenaient chaque jour. Les véritables questions n’étaient jamais abordées. L’origine du virus? Aucune nouvelle véritable de l’enquête menée par l’O.N.U. Erreur d’un laboratoire ? Acte délibéré ? Chauve-souris? Déforestation provoquant la propagation de toutes sortes de virus par le biais d’animaux sauvages délogés de leurs habitats naturels? Surconsommation de viande nécessitant une déforestation massive pour cultiver des céréales destinées à engraisser des bêtes confinées dans des espaces réduits, vivant et mourant dans d’atroces souffrances ? Mauvaise santé de la plupart des être humains dûe à une mauvaise alimentation les rendant plus fragiles à toutes sortes de virus? Les Chefs se plaisaient à restreindre nos libertés sans jamais restreindre celles de la surproduction et de la surconsommation à tout va qui entraînaient ces catastrophes sanitaires mondiales.
Au milieu de ce tohu-bohu, l’art pouvait nous guérir de ces maux. Mais, « Etre guéri » ne faisait pas l’affaire des actionnaires qui comblaient nos frustrations par une consommation maladive, dépendante, excessive à grands renforts de spots publicitaires. Les Chefs soumis aux actionnaires experts avaient fermé les théâtres, les cinémas, les musées qui pouvaient nous guérir en nous faisant réfléchir.
Je me réfugiais dans une loge du passé. Paris. J’avais seize ans. Première rencontre avec le théâtre. L’Odéon. J’étais amoureux de Caroline. Je pensais que Caroline m’aimait. Je n’osais lui déclarer ma flamme, à Caroline, la flamme d’un amour idéal, l’amour de toute une vie, cette flamme que nous avions tous porter, au-moins, une nuit, au fond de notre coeur, à cet âge romantique. Notre professeure de lettres avait sorti notre classe de ses murs provinciaux. Ma première grande sortie. L’illustre Capitale ! Ses beaux quartiers intellectuels¨! « L’illusion comique »! Les vers de Corneille exprimaient tout ce que je ne parvenais à dire, ce désir de beauté, de tendresse, de fidélité, d’union sacrée. Le théâtre guérissait mes blessures en les élevant jusqu’au ciel, un ciel parsemé d’étoiles filantes. Caroline avait disparu de ma comète. Il me restait cet art de l’illusion. Excessivement timide, je n’osais monter sur la scène, dire ce que je désirais lui dire à travers ces vers. Qu’il m’en avait fallu du temps pour vaincre toutes mes peurs ! Objecteur de conscience, quelques années plus tard, je désirais travailler pour l’un de ces théâtres. Une réponse brève, claire et sans appel me fut adressée: « – Etes-vous inscrit dans une école de théâtre reconnue? – Non. – Désolé. on ne peut pas vous accueillir ». L’Armée du Salut m’ouvrait ses bras pour un autre chemin qui m’apprenait la vie. Je m’occupais de tout petits enfants dans un centre maternel, puis, je servais la soupe populaire aux sans-abris. Il me manquait un clairon pour paraître fanfaron. Sans doute, fallait-il vivre longtemps avant pour interpréter tous ces rôles ? Le théâtre venait toujours après, le soir, après mes études, le soir, après mon travail d’éducateur. Je fis mes armes aux cours de Christina Mijol et dans de nombreuses troupes amateures, écrivant et mettant également en scène mes propres pièces, avant que le directeur d’une compagnie professionnelle me repère au sein d’un stage et me recrute dans sa troupe. Quatre années de répétitions, de représentations et de labeurs en tout genre sans aucune rémunération, le temps d’un apprentissage, avant de percevoir mon premier cachet. Promesse tenue. Ce coût à payer ? Je rêvais de ces rôles, Roméo, Cyrano, et de leurs auteurs, William Shakespeare, Edmont Rostand. On me tendait à la place les costumes de maîtres tyranniques, obsessionnels, de serviteurs niais et dociles, Gorgibus, Harpagon, Le Malade imaginaire, Gros-René… Quel coeur pouvais-je ainsi séduire ? Il me restait le rôle d’un jardinier amoureux de ses escargots, ses écureuils, ses libellules, ses papillons, ses oiseaux, ses hérissons, ses coccinelles, pour rencontrer une fleur. Pousser ma brouette dans les jardins à la Française pour rejoindre une forêt, entouré d’enfants riant aux éclats, au fond, me convenait bien. Je goûtais à ce bonheur, de nouveau, quelques années plus tard avec « Barnabé le Jardinier ». Le théâtre pouvait nous sauver d’un monde de buis taillés, exposé au vent, au soleil, à la pluie. Cette orée confinée était un doux abri pour nos coeurs fragiles. La rencontre se fit dans un sous-bois. Jouer « Le Petit Prince » me disait bien tant était gracieuse cette rose, délicate et secrète ! Quel-le metteur-en scène m’accorderait cette faveur? « – De quelle école sortez-vous? – De l’école du ciel ! « .
Une nuit blanche. Les premiers mots posés sur une nuit blanche. Deux mots qui se rencontraient, se regardaient, se tutoyaient. Deux mots qui continuaient à se connaître. « Bon… soir… » . Le soir serait bon. Il y aurait des crêpes, des étoiles filantes et un film « Le goût des merveilles », je le désirais ainsi, simple et bon comme le goût de la vie.
Thierry Rousse
Nantes, Vendredi 23 janvier 2021
« A la quête du bonheur »