Mezzanine… Mezzanine… Je n’avais pas dormi dans ma mezzanine depuis plus de deux ans, depuis que mon chat était tombé gravement malade, qu’il perdait du sang suite à une tumeur cancéreuse. J’avais pris l’habitude de dormir sur le lit d’en bas, un lit, qui, habituellement, faisait office de canapé. Là, je pouvais surveiller mon chat, prendre soin de lui. Il s’était rétabli aux beaux jours, mon chat, en allant dans le jardin, il léchait des pierres, il mangeait des herbes. Mon chat. Peu à peu, il parvenait à se tenir sur ses pattes, à marcher. Mon chat. Il mangeait de nouveau. Au tout début, il ne buvait que de l’eau. Puis il mangeait des crevettes que je lui coupais en tous petits morceaux, d’abord une, puis deux… Un miracle, mon chat était sauvé. Mon chat ! Le vétérinaire m’avait proposé d’opérer mon chat quand je le lui avais présenté, dès que la perte de sang était apparue. Il n’était guère optimiste, lui donnait peu de chance de s’en sortir, étant donnée la grosseur de la tumeur. Je ne me sentais pas prêt de lui laisser mon chat, je lui demandais un délai. Je repartais avec mon chat. « Il ne faut pas tarder » me dit-il en me serrant la main. Je convenais de revenir dans deux jours. Les deux jours passaient, mon chat perdait toujours du sang. Le jour fatidique était arrivé, mon chat le sentait, j’avais peine à le faire rentrer dans son panier. Parvenu en face du cabinet du vétérinaire, de l’autre côté de la large route de Clisson, très fréquentée par les automobilistes, mon chat se mit à miauler très fort comme un cri qui me disait : « Non, je ne veux pas mourir ! Ne m’emmène pas là ! Je veux rester avec toi ». Comment mon chat avait-il pu reconnaître le cabinet du vétérinaire ? Il était dans son panier, ne pouvait guère voir grand-chose. Mon chat. Le cabinet du vétérinaire était de l’autre côté, de l’autre côté de cette large route de Clisson, de cette large route… Je fis demi-tour. Mon chat aura eu un répit d’une année, il aura pu profiter du jardin. Un an pour savourer de doux moments, des siestes avec mon chat, ronronnant dans mes bras jusqu’à cette fin d’année 2017. Il cessa de manger. Ses forces diminuaient. A cette époque je travaillais de nuit. Mon chat me vit partir, je le pris dans mes bras, il avait peur que je l’emmène, il se cachait sous le lit, je le rassurais et le posais délicatement sur le coussin que j’avais aménagé pour lui, en bas de mon lit. Le lendemain, de retour de ma nuit de travail, j’ouvrais la porte de ma maison. Ma maison était si silencieuse, comme un silence venu d’ailleurs. Un grand vide emplissait l’espace. Mon chat ne bougeait plus, il était sur son coussin, immobile, comme je l’avais délicatement posé avant de partir, le regard dirigé vers la porte. Je m’approchais, je compris vite, mon chat ne respirait plus, son corps était froid, dur. Il semblait paisible. Je le pris dans bras enveloppé dans sa couverture, je pleurais. « Il est soulagé, me dis-je, il est au ciel, il ne souffre plus ». Mon… Je creusais un trou au fond du jardin, l’enterrais, enveloppé dans sa couverture, et disposais sur sa tombe un pot d’herbes, ces herbes qu’il mangeait pour se soigner, et une Vierge, une Vierge Marie en plastique contenant de l’eau miraculeuse de Lourdes, cette eau que je lui donnais au tout début de sa maladie, une Vierge Marie en plastique qu’on m’avait offerte il y avait bien plusieurs années. Mon chat avait rejoint mon chien dans la terre tournée vers l’infini du ciel, le mystère de la vie.
Mezzanine… Mezzanine… J’avais rejoint ma mezzanine ce vendredi 13 mars 2020, de retour d’une répétition à La Roche-Sur-Yon. Dans le train vers Nantes, un jeune homme toussait très fort derrière moi. Il y avait une semaine qu’une amie m’avait alerté sur ce qui se passait en Chine. Elle me montrait les images sur BFMTV. Une ville déserte. Le virus s’était propagé dans l’est de la France lors d’un rassemblement évangélique, puis dans l’Oise. J’achetais dans un café le journal « Le Monde », je découvrais la propagation du virus, le nombre de cas déclarés, le nombre de morts, en Chine, en France. Le Gouvernement déclarait le jeudi soir la fermeture des écoles jusqu’à nouvel ordre. Chouette, les vacances, l’école à la maison !… Le soleil de printemps resplendissait, peu à peu les fleurs jaillissaient, les arbres retrouvaient lentement leurs feuilles, les oiseaux chantaient… Un air de douceur, de liberté… Je pensais que ce virus resterait en Chine, puis qu’il resterait en Alsace, puis qu’il resterait dans l’Oise, puis qu’il… je pensais…
Le lendemain, samedi 14 mars 2020, je me rendais à une réunion de travail, il fallait boucler un dossier de demande de subventions avant le 15 mars pour un événement que nous organisions à Nantes, un événement qui portait ce nom : « Le Village universel ». Je me sentais fiévreux, je gardais mes distances avec mes collègues. Si j’étais porteur de cette maladie, je ne souhaitais pas la transmettre. En quittant la réunion, notre mission accomplie, je portais la rallonge qui m’avait été demandée à mon Papa afin qu’il puisse avoir le téléphone près de lui, ce téléphone blanc que j’avais pu lui acheter avant que n’arrive ce drame. La porte de l’Ehpad « Beauséjour » était fermée, dès lors les visites étaient interdites. Un panneau l’indiquait. Ordre du Gouvernement. Il s’agissait de protéger les résidents vulnérables. Je comprenais. Je téléphonais. Une infirmière m’accueillit gentiment, elle prit la rallonge, je lui souhaitais « Bon courage ». La porte vitrée coulissante se refermait.
Je rentrais chez moi et je montais dans ma mezzanine…
Mezzanine (Le Petit Larousse de Poche) : « Nom féminin. Niveau intermédiaire ménagé dans une pièce haute de plafond. »
Je rentrais chez moi et je montais dans le niveau intermédiaire de ma pièce haute de plafond.
Chaque instant serait, dès lors, long maintenant.
Dimanche 15 mars 2020 : mon premier jour de confinement commençait officieusement. Je me retranchais dans ma mezzanine, allumant sur la table de chevet une lumière.
Nantes, le jeudi 9 avril 2020.