Ne rien faire
Difficile de ne rien faire
T’obliger à ne rien faire
Tu sentais toujours en toi le besoin de faire quelque chose
Où que tu sois
Où que tu respires
Remplir ton temps
Un défi
Remplir ton temps
La vie était si courte
Un éclair tu le savais
Tu avais besoin de remplir ta vie
De tous les sens que tu voulais lui donner
Marcel
A ta vie
Remplir ta vie
Marcel
Tu avais toujours plein de choses dans ton sac
Ton sac à dos
Ton sac à bosses
Tu ne manquais de rien
Mieux trop que rien
Tout sauf le vide
Tout sauf le néant
Tu disais
Marcel
Ne pas perdre de temps
Sur le quai à attendre
Mais là
Ce jeudi soir
De dix huit heures à dix neuf heures
Entre deux temps
Sortant d’un atelier de théâtre pour enfants
Tu t’obligeais à ne rien faire
Ne rien faire
Comme c’était long ne rien faire
Un supplice
Dans ta caboche
Une heure à boire une pinte de Moustache
Près d’un arbre enfermé
Avais-tu vu grand
Trop grand
Une heure de ta vie à boire cette pinte de Moustache trop grande
A rien faire
Cette pinte servie par une jolie serveuse tatouée
Qui te tutoyait
Dans ses yeux
Marcel
Tes vingt ans renaissaient
Une heure maintenant de temps perdu
Tu voyais tout ce temps s’effilocher
Une heure dans ta vie répandue
Une tâche qui grossissait à perte de jus
Marcel
Ressaisis-toi donc
Combien d’heures avais-tu mordues dans ta vie
Croquées
Mâchées
Avalées
Le temps d’une autre vie
Que tu voulais rattraper à tout prix
Impossible combat contre toi-même
Temps irrécupérable
Depuis dix ans
Tu t’acharnais
A rattraper ce temps révolu
Toujours un tas de bouquins
De carnets dans ton sac de randonneur
A lire
A noter
Quand ce n’était pas ton ordinateur
Qui bouffait tes heures libres
Souvent d’un travail colossal et vain
Tout un bureau dans un train
Qui aurait pu justifier à présent ton temps à ne rien faire
Ton temps à n’Être
Rien qu’à vivre
Qu’à observer le temps qui passe
Qu’à observer la vie des autres gens
Pour oublier la tienne
La vie des autres gens était tellement passionnante à tes yeux
Marcel
A l’entrée du Chat Noir
Tu rêvais de ta jeunesse
Étudiant
Tu aspirais
A retrouver cette insouciance
Ce désir d’être
De tout refaire
Pouvions-nous tout refaire
Les rides de ton corps te rappelaient à cet impossible retour
L’heure était écoulée
Et le tram t’attendait pour deux heures chez Marguerite
Deux heures de verres de porto et de poésie
A savourer
A oser lire quelques lignes parmi les grands
Les vrais poètes
Te frayer un timide chemin
Quelques lignes de vie sur ta main nue
Les mots perçus des bribes de la rue
En attendant
Ton programme était le suivant
Ne rien faire au Chat Noir
Ne rien faire
Difficile à ne rien faire
A t’obliger à ne rien faire
Ca cogitait dans ta tête
Où était parti le petit chat
Noir de l’espoir
Destination
Aléatoire
Le vide d’une absence
Ne rien faire au Chat Noir
Que l’attendre
Juste le caresser
A son retour
Lui donner à boire
Et à manger
Aimait-il le saucisson pendu
Juste prendre soin du petit chat noir
Qui t’avait accueilli sur sa planète
Juste lui rendre sa planète
Aussi belle qu’il te l’avait offerte
Balayer le ciel
De tes excès
Libérer la mer
De tes filets
Et ne plus rien faire
Qu’aimer au Chat Noir le petit chat noir
Entre dix huit heures et dix neuf heures
Un jeudi soir
Et tout le reste de ton temps
Et tout le reste de ton temps
Commencer par être
Marcel
Par être
Juste
Etre
Thierry Rousse Nantes, dimanche 17 mars 2024 "Une vie parmi des milliards"