Longtemps
Ils étaient restés là
Dans ta chambre
Empilés
Une grande partie de tes cartons
Longtemps
Peut-être la moitié
Pas ouverts
Pas triés
Des tas de building de tes cartons
Qu’attendais-tu donc de cette ville inachevée
Tes cartons devant tes yeux
Comme un passé
Que tu n’avais plus envie d’ouvrir
Peut-être
Trop vieux
Trop ouverts
Trop fermés
Trop transportés
Trop
Trop de déménagements
Trop de départs
Trop d’arrivées
Trop de trop
Cartons fragiles
Avais-tu compté la superficie de ta vie
Entre les rues
Les fleuves
Les chemins
Les bois
Et les prés
Tes espaces
Tes maisons
Tes chambres
Tes studios
Tes appartements
Et tes évasions
Juste le temps de les nommer
Les survoler depuis tes cieux étoilés
Tu ne te souvenais plus très bien de l’ordre
Quel logis venait avant tel autre
Une chose semblait être sûre
Dammarie-les-Lys fut ton premier appartement
Au cœur d’une cité réputée brûlante
Où bon nombre de gens n’osaient y mettre les pieds
Vols, trafics de drogue, bagarres entre bandes rivales
Au milieu de la Plaine du Lys
Cet appartement t’était prêté pour un temps
Tu avais dix huit ans
Tu étais étudiant
Et tu avais besoin d’indépendance
De silence
Fuire les cris du foyer familial
Besoin de souffler
De pouvoir étudier en paix
Puis
Ce fut
Paris
La chambre de bonne de la rue d’Hauteville
L’université et le théâtre
Puis de nouveau
Paris
Le studio sous les toits de Stalingrad
Et l’Armée du Salut
Puis
Le Mée-sur-seine
Une toute petite chambre en haut d’un gratte ciel ou presque
Plein ciel
Vue sur le périphérique
Le début d’une longue carrière
Puis
Melun
Une maison deux pièces et sa cour toujours sombre
Dans le quartier fleuri de la préfecture
Puis
Dammarie-les-Lys
Cette fois-ci
Côté La Villaubois
Un appartement une pièce que tu avais aménagé d’une mezzanine
Dans une résidence avec piscine privée sous haute protection
Puis
De nouveau
Melun
Le rez de chaussée d’une petite maison avec son jardinet près du cinéma Les Variétés
Presque le bonheur tout près de ton travail
Le Pain de l’espoir
Rêve éphémère entre les bras d’une colombienne
Puis encore
Melun
Cette petite chambre chez cette Mamie qui t’accueillait
Et ce jardin aux herbes folles
Puis encore
Melun
Un appartement HLM dans le quartier de l’Almont
Au bord de la rivière du même nom
Tout près de l’appartement ton père
Qui venait d’emménager dans la même tour
Puis
Reclose la belle maison et sa cheminée à l’orée de la forêt
Et les débuts des fêtes
Puis
Château-landon la maison avec son escalier
Sa terrasse au-dessus d’une cave à vins
Puis toujours
Château Landon
L’appartement au-dessus d’une auberge gastronomique
Le Chapeau Rouge
L’époque des fiestas, bière, whisky coca et tequila
Copains
Copine
Et grands fracas
Puis
Retour à la sagesse
Maincy la grande maison et son grand jardin
Ton chien et tes onze chats
Puis
Palaiseau
L’appartement trois pièces au premier étage
Puis
Bagneaux-sur-Loing
La petite maison bleue et jaune que tu avais repeinte
Au bord du canal
Et son grand jardin
Enfin une maison à toi
Tu étais pour la première fois propriétaire
Pour peu de temps hélas
Tu apprenais que cette maison était déclarée en zone inondable
Tu as dû te résoudre à interrompre tes travaux
Amère désillusion d’un été
Tu vendis ta petite maison bleue et jaune
Adieu lavande tournesol tortue poule coq et rouge-gorge
Puis
Nemours
Le bel appartement en centre ville au premier étage
Puis
Toujours
Nemours
Le vieil appartement en centre ville au rez-de-chaussée
Puis
Château-Landon
La chambre mansardée d’un grenier
Et la fin d’un amour fissuré
Puis
Fontainebleau
Le rez de chaussée d’une petite maison une fois de plus à l’ombre
Puis
Encore
Fontainebleau
La grande maison bourgeoise en colocation
Puis
Château Landon
Le bel appartement de fonction
Au milieu de son institution
Vaste parc
Si calme le week-end
Quand les jeunes n’étaient plus là
Puis
Le grand saut
Le changement de région
L’exil au soleil couchant
Cap à l’ouest
Sur l’océan
Te voici l’étranger
Toi venu de Paris
Tu fus Pointé du doigt
A peine sur ce quai
Sur ce banc
Arrivé
La Roche-sur-Yon
A l’ombre du rocher de Napoléon
Le rez-de-chaussée d’une ancienne grange
Un petit studio studieux
Puis
Le grand à côté
Visites quotidiennes d’une maman et ses trois filles
Tu aurais pu être un bon père de famille
Vocation ratée
Puis
De retour en Seine-et-Marne
Bray-sur-Seine
La chambre d’une maison médiévale
La solitude d’un ermite
Puis de nouveau retour en Vendée
Les Sables d’Olonne où tu fus accueilli si chaleureusement
Dans une simple maison et son potager foisonnant
Où tu découvrais la sobriété et le sens de l’amitié
Puis
Le rez-de-chaussée d’un grand pavillon moderne à Basse Goulaine
Là où la propriétaire refusait catégoriquement ton chat
Puis
Nantes la maisonnette en pierres
Sa cheminée
Sa mezzanine et son jardin partagé
Celle que tu avais toujours imaginée dans tes rêves
Confinement
Vente de ta maisonnette
Les nouveaux propriétaires
Un jeune couple
Te demandaient gentiment de partir
Le plus tôt serait le mieux
Puis
Escale au milieu du vignoble dans un hangar
Un genre de friche artistique
Puis
Puis
Puis
Marcel
Tu étais fatigué
Et tes cartons étaient là empilés
Dans ton nouvel appartement
Nantes
Face au château
Tes cartons
Tes cartons comme un décor de spectacle
Un cartoon dont tu ignorais la fin
Jusqu’au jour
Jusqu’au jour où tu t’es enfin décidé
A en ouvrir un
Puis un autre
A voir ce qu’il y avait dedans
Ça
Plus tard
Je le sortirais
Plus tard
Tu disais
Ça
Oui, ça
Je peux le sortir
Le ranger
Ça
Ça peut servir
Tu voyais déjà ce décor
Sur la grande scène du Lieu Unique
Tes cartons
Tes piles de cartons
Et toi tout petit au milieu de tes piles
Tu escaladais tes cartons
Ils tombaient
Tu les ouvrais
Tant de piles
Et toi dessous
A nager entre ces Dvd
Vagues histoires
Se rappellant à ta mémoire
Tu te disais
Je l’ai déjà vu
Ce film
Mais un jour
Je le reverrais bien
Oui
Un jour
Je le reverrais
Bien
Je les reverrais bien tous ces films
Ils venaient comme des vagues sous tes yeux sans logique apparente
L’arnaqueur
La cuisine au beurre
La famille Bélier
La vie est belle
Ce soir je dors chez toi
La vie d’Adèle
Si c’était lui
Angélique
Donne-moi des ailes
Ensemble, c’est tout
Le voyage du ballon rouge
Un homme, un vrai Tanguy
Les femmes du sixième étage
Alceste à bicyclette
Oui, mais
Jeune et jolie
A trois on y va
Quand Harry rencontre Sally
Ah si j’étais riche
En équilibre
L’Avare
Le hasard faisait parfois bien les choses
Parfois pas vraiment
Parfois pas du tout
Parfois
Puis il y avait
Cette musique
Ces chansons
Je les avais déjà écoutées
Tu te disais
Mais je les écouterais bien une nouvelle fois un jour
Pas maintenant
Tu avais besoin de silence
Il y avait trop de bruit en ce moment dans le monde
Trop d’agitations
Trop de Vacarme
Trop de trop
Tout ça pouvait attendre
Attendre encore
Tu te disais
J’avais le temps
Je me donnais du temps
Du temps avant de quitter ce monde
Le temps de le voir encore ce film
Puis celui-là
Et celui-là
Aussi
Et tous ceux là
Et toutes ces chansons
Et toutes ces musiques
Elles aussi venaient comme des vagues sous tes yeux sans logique apparente
Bob Dylan
Les Têtes Raides
Manafina exils
Yves Jamait de verre en vers
Louise Attaque
La folle journée vers un nouveau monde
Brigitte Baronnet Terre d’amour
Marc Vella la porte des mondes
Mozart
Dire Straits
Jean Ferrat
Bobby Lapointe
Les Fabulous Troubadours
Grand Corps Malade
Olivia Ruiz la femme chocolat
Bernard Lavilliers
Tryo
Les Ogres de Barback
George Moustaki
Jacques Higelin
Renaud
Debout sur le zinc
Noir désir
Les Négresses vertes
La Rue Ketanou
Jean-Louis Bertignac
Souad Massi
Miossec
Indochine
Creedence Clearwater Revival
Hubert Félix Thiéfaine
Patti Smith
Supertramp
Queen
Francis Cabrel
Marc Lavoine
M
Mes souliers sont rouges
Tom Poisson
Yannick Noah
The Rolling Stones
Les écouter encore
Tu te disais
J’avais le temps
De les ouvrir ces cartons
Et tu commençais un jour à les ouvrir
Quand tu ne voyais plus rien à l’horizon
Dis
Mon amie
Nous tournons-nous vers le passé
Quand nous ne voyons plus d’avenir
Qu’une brume indécise
Unicolore
Opaque
Et vide
Dis mon amie
Ces cartons-là
Marcel
Tu les mettais près de toi
Les plus précieux
Ces carnets de ta vie
Tu prendrais le temps de les lire
Tu te donnais le temps
Tu te donnais ce temps
D’ouvrir ces carnets
Comme ce vieil ordinateur
Qui renfermait
Quelques années de ta vie
Tes écrits
Beaucoup d’autres s’étaient effacés depuis
Correspondances envolées
A tout jamais perdues dans les cieux
Les mots de tes Muses
Il te restait dans ton cerveau
Un petit disque dur
Pouvions-nous le sauvegarder
Mon amie
Combien de temps
Tu demandais
Combien de temps
Avant qu’il ne s’use
Et perde la tête
Combien de temps
Marcel
Tu luttais
Tu musclais ta tête
Tu lisais
Tu écrivais pour l’entretenir
Pour ne pas la perdre
Ta tête
Tu musclais ta tête
Comme tu musclais ton cœur
Tes jambes
Tes pieds
Tout ce qui pouvait encore te relier à la terre
Marcel
Allez chauffe Marcel
Tu aurais ton stade
Le ciel te l’avait promis
Tu ferais un carton
Marcel
Au Hall 2 de la vie
L’Île de la transition
Avant que la Loire
Ne déborde
Et emmène tous tes cartons sur son passage
Le radeau de ta vie
De tes vies
De toutes les Muses
Que tu as aimées
Marcel
Chauffe
Allez
Chauffe
Ouvre encore un carton
Et raconte-nous ton monde
Avant de prendre l’air
Dans les jardins du paradis
Dis-nous ce qu’une vie ordinaire
A d’extraordinaire
Le simple fait de vivre
Kilos de nous-mêmes
Parcelle divine
Dans le sang qui coule en nos veines
Tu comptais quelques pieds
Avant de te laisser gagner
Par les flots de la liberté
Thierry Rousse Nantes, lundi 29 janvier 2024 Une vie parmi des milliards