Dans ce train du petit matin
Enfoncé dans l’un de ces fauteuils
Où l’on se sentait si bien
Presque face à toi
Une jeune fille écoutait dans son casque
Sans doute de la musique
Elle pleurait
Des ruisseaux de larmes s’évadaient de ses yeux rougis
Etait-ce cette musique
Ou ses pensées qui la faisaient pleurer
A quoi songeait-elle dans sa prison dorée
Tu pouvais imaginer
Que son copain l’avait quittée
Tu pouvais imaginer ses mots durs
Ou ses silences
Ou son absence
Ou son indifférence
Tu pouvais tout t’imaginer
Elle ne cessait de pleurer
Il ne cessait de pleuvoir
Ce samedi quatre mai deux mille vingt quatre
Tu te dirigeais vers Lorient
Dans ce train du petit matin
Enfoncé dans l’un de ces fauteuils
Où l’on se sentait si bien
Quelle jolie ville allais-tu découvrir
Tu savais à peine où se situait Lorient
Vaguement entre Nantes et Brest
Tu t’offrais une journée de vacances
Et Il pleuvait toujours
Et Lorient n’avait rien d’une jolie ville
Et Lorient ressemblait à cette ville du Havre
Une enfilade de petits immeubles se ressemblant presque tous
Une ville presque entièrement détruite
Une ville bombardée par nos libérateurs
Le seul moyen de chasser l’occupant nazi
Qui avait logé en ses ports ses navires de guerre
Lorient
Tu y étais
Les pieds mouillés sur une vaste place
Une ville presque entièrement reconstruite
Où sous cette pluie fine incessante et glaciale
Il n’y avait rien à voir
Rien à aimer
Ou presque
Egaré
Tu te réfugiais dans le hall d’un Centre Dramatique National
Pouvait-on encore parler d’amour à Lorient
A moins de s’enfuir sur un bateau de croisière vers une île plus charmante
Lorient ville tournée vers l’Orient
La jeune fille du train avec ses larmes avait disparu dans son océan
Il restait dans la rue du Port cette eau salée du ciel
Et tous ces mots bleus sur ces murs blancs
Ces mots de Jésus qu’un homme une nuit avait vu
Tous ces mots d’un fils et d’un père qui parlaient d’amour
Car au fond il nous restait bien ça l’amour
L’amour pour nous sauver
Nous reconstruire et reconstruire le monde (1)
Dans ce train du petit matin
Enfoncé dans l’un de ces fauteuils
Où l’on se sentait si bien
Il nous restait ça
Il nous restait ça
Un amour au-délà des sentiments
Un amour qui ne changerait plus avec le temps
Un amour qui avait décidé d’aimer
Aimer sans condition
Aimer parce que c’était l’origine de la vie
Aimer parce que c’était là où tout commençait
Dans ce train du petit matin
Enfoncé dans l’un de ces fauteuils
Où l’on se sentait si bien
Il nous restait ça
Il nous restait ça
Pour apaiser nos larmes
Trouver un sens à l’existence
Etre des consciences libres
Affranchies de tout pouvoir
D’états ou de religions
Etre des conciences accueillantes
Des consciences aimantes
Dans ce train du petit matin
Enfoncé dans l’un de ces fauteuils
Où l’on se sentait si bien
Thierry Rousse
Nantes, dimanche 5 mai 2024
(1) « Amour », L'Eau Bleue, texte inspiré de l'enseignement de Michel Potay