Ils me réveillaient au lever du soleil et m’apaisaient le soir. Leurs chants m’étaient agréables. Rien d’agressif. Des notes si douces. Entre les deux, une journée, des pensées, des actions, des joies, des bonnes nouvelles, des déceptions, des tracas, des espoirs, des tâches de la vie quotidienne à celles de mon travail, rémunéré en partie, la vie, pourrait-on dire.
Je commençais à percevoir la lumière, la récompense du Grand Chef. Les terrasses des bars et des restaurants venaient d’ouvrir en ce mercredi 19 mai 2021. Je n’appréciais ce jour de la Libération que le lendemain, autour d’un café équitable et d’un verre d’eau, le long de la Loire, au Bistrot du Port. Le temps était indécis, entre soleil et nuages. Un vent désagréable agitait mon humeur. Quelque chose n’allait pas. Un quelque chose qui m’alertait, un voyant qui s’allumait. Allais-je dans la bonne direction? Qu’étaient devenus le pangolin et la chauve-souris? Qu’était devenue la forêt? Qu’était devenu le marché? Qu’était devenu le chemin? Qu’étais-tu devenue? Qu’étais-je devenu?
La ligne verte me souriait. Je n’avais pas écrit depuis longtemps. J’avais vécu sans doute. Le quotidien m’avait happé. J’avais lu. J’avais pris des notes sur mes minuscules carnets. J’avais besoin de me ressourcer. Remplir mon réservoir. Ecrire demandait un certain recul. Je ne voyais plus grand chose, à dire vrai, qu’un temps indécis de ma vie. La ligne verte, toujours, me souriait. Etais-je un ingénu? Je m’interrogeais sur ce mot étrange tombé du ciel. Etait-ce un compliment, une moquerie ou un reproche? Je questionnais Rousseau qui me renvoyait à d’autres mots. Je n’en finissais pas de ces mots qui tournaient dans ma tête. « Ingénu, d’une innocence franche; candide, naïf « . L’ingénuité s’assimilait à une « candeur », une « simplicité ». J’avais choisi le chemin de la sobriété heureuse. Etais-je cet ingénu? M’étais-je trompé de chemin? Rien, décidément, rien n’allait. Ce n’était pas Rousseau mais Voltaire qui avait écrit « L’ingénu ». Un huron, arrivé en France, qui regardait la vie française avec candeur, innocence et naïveté.
Les bars et les restaurants, c’était notre culture. La vie normale reprenait et mon coeur se réjouissait de regarder le monde avec naïveté, candeur et innocence. Tout le monde, à mes yeux, était bon, ou presque. J’entendais les cris des cochons aux abattoirs. Le saucisson pendait au-dessus du comptoir. L’heure de l’apéro et des rires. Fallait bien vivre. Se nourrir. Entretenir l’économie. Tout ce monde qui vivait grâce aux bars et aux restaurants. Je comptais ce qu’il me restait. Quelques pièces. Gagner ma vie pour entretenir l’économie de mes petits plaisirs. Qu’étais-je devenu? Mes doigts tournaient les pages de mes carnets bleus, blancs, rouges. Entre marée basse et marée haute, entre deux. Qui pouvait me dire si la mer montait ou descendait?
Je me remplissais de « La puissance de la joie » de Frédéric Lenoir. Un écrivain qui aurait dû s’appeler Leblanc. Peut-être ne voyait-on la lumière qu’au milieu de l’obscurité? « Le bonheur se construit: il résulte d’un travail sur soi, d’un sens donné à sa vie et des engagements qui en découlent » (1). Je buvais chaque mot. Chaque mot éclairait mon âme. Ma sobriété ne pouvait être heureuse que si elle était choisie. Qu’est-ce qui était bon pour moi? Un cochon vivant ou un saucisson? Je contemplais la Loire et ses voiliers enlisés. Les canards étaient heureux. Rien n’était normal. Je travaillais sur moi-même comme on travaille à réparer un bateau. Ou, l’entretenir. Ou, l’embellir. Ou, le découvrir. J’avais soif de donner sens à ma vie éphèmère. La fidélité des sentiments. Je m’engageais sur la ligne verte au fond des mers. Jules Verne m’observait depuis sa tourelle. Des corps dansaient sous les Nefs. Des voix, indignées, se révoltaient. La Maison du Peuple était proche des marches de l’Opéra. Je marchais pour le Climat et la Justice sociale. J’engageais mon corps et mon esprit à la quête du bonheur. Rien n’était normal. En dehors des normes, se logeait l’Amour. Savourer bien plus qu’une bière ambrée locale et artisanale. « La joie, elle, a un côté gratuit, imprévisible »(1). L’instant d’un regard. Mes pas s’étaient égarés sur la ligne verte. Je savourais l’errance.
J’avais hésité à partir, calculé mes dépenses. Et puis, j’étais attendu. Quel plus beau bonheur que de se sentir attendu quelque part ? Blablacar sans blabla me transportait à la ville rose, et un train, de la ville rose à Gimont où j’étais attendu. L’Abbaye de Boulaur me montrait ses chemins. Un air de noces. Quand le travail prenait sens. La joie du partage. Des retrouvailles. L’éternité d’un instant. Les cimes enneigées des Pyrénées m’appelaient. Il me manquait juste les ailes d’un ange ingénu. Je me vengeais sur la confiture, quand un livre s’offrait à mon regard: « Et lentement, tout bascule » (2). Joli clin d’oeil, Claire ! L’Ascension de mes désirs. Rien n’était normal. Une exposition de visages. Au fond d’une tristesse, la joie. J’espérais le retour à une vie anormale, une vie débordante, infinie.
Les oiseaux, de nouveau, s’aimaient.
Chaque soir, Lamartine se confiait à mon coeur. Il était presque devenu mon ami intime.
Correspondances invisibles.
« Au pied de ton rocher sauvage, Ami, je reviendrai souvent rattacher, vers le soir, ma barque à ton rivage »(3).
Thierry Rousse
Nantes, jeudi 20 mai 2021
« A la quête du bonheur »
(1) Frédéric Lenoir, « La puissance de la joie », Le Livre de Poche
(2) Blandine et Arthur de Lassus, « Et lentement tout bascule », L’escargot
(3) Lamartine, « La retraite » extrait de « Méditations poétiques », Gallimard.