Solitudes automnales

Reste un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une amie

Que pourriez-vous être ensemble

Sors de ce carton ce livre qui a jauni

Compte un deux déjà vous êtes trois

Avec l’auteur.e qui l’a écrit

Ouvre-le et lis-le et rajeunis

Souviens-toi c’était au temps du lycée

Des poèmes qu’on vous faisait étudier

En pleine crise révolté de la puberté

La poésie était pour toi une fenêtre de liberté

Baudelaire t’emmenait dans son spleen

Vous étiez trois vous étiez quatre

En comptant ce miroir entre lui elle et toi

Un ange déchu entre idéal et désespoir

Et puis il y avait ton copain Pierrick

Qui te racontait ses voyages

Vous étiez cinq avec tes souvenirs

Six avec les siens des Philippines

Tu rêvais bien de partir autour du monde

Mais reste encore un peu chez toi

Observe c’que le poète te dit de sa vie

Des multitudes de visages sous les pages enfouis

L’enfant qui s’enivrait de soleil (1)

Jouait avec les plumes du vent

S’entretenait avec le blanc des nuages

Grimpait p’tit oiseau aux branches du temps

Reste un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une amie

Que pourriez-vous semer ensemble

Vous êtes déjà bien nombreux

Ce n’est que le début de votre chemin

L’heure du midi approche

Et déjà ta matinée a filé

Tout ce temps écoulé

Que tu ne reverras plus

Ainsi se déroulent tes années

Fais une halte avant de t’éclipser

Songe à tes besognes terrestres

Revois un peu tes démarches à accomplir

Sur le tableau noir à la craie blanche

C’est une montagne un pic une avalanche

Prends ton temps on ne marche bien

Qu’un pied après l’autre sur le chemin

Compte tout l’or ce matin qu’t’as gagné

Et tout cet argent qu’il te faudra dépenser

Tu mesures la distance

Entre le ciel et la terre

Entre la lune et le soleil

Fais le bon choix de tes merveilles

Consulte un peu ces programmes

Que voit-on au passage Sainte-Croix

Un peu de joie sous des larmes de sang

Fragilités dans un monde fragile émouvant (2)

Qu’en dit-on de l’autre côté du pont

Derrière les remparts du château

Anne rêve d’un beau et grand chevalier (3)

Qui viendrait de sa couronne la délivrer

Ta solitude en ce samedi n’est plus isolée

Nantes tant de lieux à parcourir

Nantes tant de vies à découvrir

Ta maison est habitée de toutes ses pensées

Un repas frugal s’invite à ta fête

En tête-à-tête avec tes rêves

Ce joueur d’oud Ahmed Alshaiba sait faire tellement vibrer

Dans tout ton être tellement d’étoiles du désert

Tu te délectes de ses notes célestes

Sur des tartines de tzatziki et d’houmous

Pois chiche sésame ail et olives

Concombre aneth menthe et yaourt à la grec

Ce festin mérite bien une sieste d’hiver

Sous la blancheur douillette d’une couette

Tu reprends là sur ta barque où t’en étais

Cet albatros ne pouvant plus s’envoler

Il est des rêves de géant embrassant la mer

Que le destin d’une vie parfois enferme

Tu rêvais de parcourir adolescent le monde

Être écrivain journaliste et poète

Tu ne fus qu’un brin poète comédien

Animateur éducateur veilleur

Et quelques autres métiers

Des p’tits jobs comme on dit pour gagner ton beurre

Reste un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une amie

Que pourriez-vous bâtir ensemble

Il est temps d’sortir mon miroir tu m’dis

Prendre l’air aller cueillir les parfums d’ailleurs

Laisse-moi donc d’un bonnet d’marin me vêtir

Que je puisse décrocher au vieux port quelques sourires

Quand Gaga t’annonce que Renaud vient d’annuler sa tournée

Une peine de coeur crois-tu a-t-il rechuté

L’amour peut t’élever comme te faire plonger

Tu songes alors à ta fée perdue un été

T’ouvres enfin ta porte

Long couloir blanc d’Halloween

Des toiles d’araignées

Suspendues au plafond d’tes idées

T’as décidé d’aller voir les fragilités de c’monde

Trop fatigué pour un périple en Inde

Tu t’rappelles la beauté du verre

Qui diffuse la lumière

Y’a des mots blancs sur les murs noirs

Des p’tites choses ramassées rasfitolées

Des photographies aussi

Des îles qui rétrécissent

Y’a la terre qu’on détruit

Et ces mots mal compris

Tu la domineras

La feras prospérer

Y’a tout c’qu’on a raté

Tout c’qu’on a appris de travers

Le bien collectif qu’on a vu

Dans l’intérêt individuel

Y’a ton papa qu’tu vas voir

Dans sa chambre d’hôpital

Y’a la maladie qui l’affaiblit

Y’a ce dernier lien entre vous primordial

Y’a ces échanges avec lui qu’t’aimerais bien avoir

Mais tu repars seul dans le couloir

Y’a le tram qu’t’attendras

Y’a aucun regard qui te sourira

Rentre un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une alliée

Que pourriez-vous espérer ensemble

Il est trop tôt tu lui dis

Allons faire un tour au Lieu Unique

Y’a sur les lèvres qu’tu revois (4)

Toujours autant d’interrogations

Y’a l’art moderne qui s’fracasse

Chute d’un monde de mosaïques décomposé

Y’a ces banques d’images parfaites

Qui pourraient bien t’raconter l’histoire d’un baiser

Tout c’qu’on montre pour exister

Dans quel idéal on voudrait s’glisser

Des images retouchées

Pour une vie bien tracée

Y’a le froid d’l’hiver qui pointe son nez

La grosse écharpe irlandaise qui t’tient chaud

L’envie d’un bon chocolat et plein d’Chantilly

Et toutes ces chaises occupées

Y’a ta solitude qu’tu promènes

Par la main ton miroir gelé

Y’a le long des trottoirs ces jolis cafés

Remplis d’amoureux et d’amis bienheureux

Y’a cette ville où t’espérais le bonheur

Cette ville comme toutes les villes

Avec ses joies et ses malheurs

Y’a ce port sa mer ses voiles et ses sirènes

Rentre un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une belle étoile

Cette nuit mon p’tit prince

Thierry Rousse
Nantes, samedi 2 novembre 2024
Baudelaire “Bénédiction” in “Les fleurs du mal”, éditions Gallimard
Passage Sainte-Croix, Nantes, exposition “Fragiles, dans un monde fragile”
Musée du château de la Duchesse Anne, Nantes, exposition “Chevaliers”
Le Lieu Unique, Nantes, exposition “Sur les lèvres”

"Une vie parmi des milliards"

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