Sur le fil du théâtre, « la gloire de mon père »

 

Entre « Le château de ma mère » et « La gloire de mon père » de Marcel Pagnol, je lisais « Un homme » de Christina Mirjol, un roman très touchant sur un homme sans domicile qu’une femme et un homme avaient rencontré dans un froid glacial, proche de l’entrée d’un cinéma, à Paris, durant l’hiver 2012.

Etre à la rue, cela m’avait toujours fait peur. Je voyais ces hommes, plus souvent ces hommes, à la rue. Les femmes, j’en voyais moins. Ces hommes au visage creusé, fatigué, rongé par l’alcool. Ces hommes, ivres, qui devenaient violents, s’insultaient entre eux, se provoquaient. Pour défendre quoi ? Leur territoire ? Ce qui leur restait de fierté, de dignité, un sentiment d’exister, ce besoin de se sentir respecté, reconnu ? Ces hommes qui, poliment, me demandaient une pièce. Ces hommes qui cherchaient à attirer une attention, un regard. Je me sentais triste, triste pour eux. Comment pouvait-on vivre ainsi ? En être arrivé là ?

Je me rassurais en rentrant chez moi. J’avais encore un toit. Toute ma vie, jusqu’à ce jour, j’avais eu la chance de pouvoir travailler et être rémunéré pour mon travail. J’étais même parvenu à trouver un équilibre entre mon métier d’éducateur spécialisé et mon métier de comédien. Les choses s’étaient compliquées lors de mon arrivée en Vendée, un 31 décembre 2013. Heureusement, grâce à des rencontres et de précieux soutiens, j’avais pu rebondir, retrouver un emploi de veilleur de nuit dans un Centre d’hébergement pour personnes sans domicile et pour femmes victimes de violences conjugales et mères isolées. En parallèle, j’avais eu la joie d’être recruté par le metteur en scène Guy Blanchard pour interpréter le rôle d’un veilleur de nuit dans la pièce « Hughie » d’Eugène O’Neill. Etrange coïncidence ! Hélas, ce spectacle n’avait pu se jouer que cinq fois.

La baisse de mes revenus m’avait appris par la force des choses la sobriété. De cette contrainte, j’en fis un choix volontaire après avoir lu « La sobriété heureuse » de Pierre Rabhi.

Je m’accrochais comme je pouvais au théâtre en créant plusieurs spectacles, certains en solo et d’autres avec des partenaires que le hasard me faisait croiser. Une nouvelle fois « hélas », ces partenaires de jeu quittaient un à un ces projets au profit d’ opportunités professionnelles plus intéressantes. Ce que je pouvais comprendre. Je poursuivais l’aventure avec mes spectacles en solo, entre détermination, doute, joie, déception, tristesse. Le monde du théâtre n’était pas toujours généreux. Certains me percevaient comme un concurrent, n’hésitant pas à dénigrer mes spectacles. D’autres, au contraire, surtout, des spectateurs m’encourageaient. L’aide des gens du métier étaient plus rares et méritait d’être soulignée quand elle apparaissait soudainement.

La vie m’amenait à m’investir, ces deux dernières années, dans des projets culturels et artistiques, qui ne portaient guère leurs fruits, malgré le temps et l’énergie que j’avais déployés pour leur réussite. Les décisions de nos grands Chefs liées à la pandémie n’avaient rien arrangé.

J’en vins à découvrir les conditions de travail déplorables de l’aide à domicile. Une expérience de deux mois qui m’avait valu la radiation de mes droits à l’assurance chômage suite à ma décision d’aller jusqu’au bout de ma période d’essai et de ne pas poursuivre. Heureusement, le rôle du Père Noël m’attendait. Il n’avait pas été confiné dans sa bulle. Puis, j’ai eu le bonheur d’être embauché en janvier 2021 comme animateur dans les écoles. Mes revenus avaient continué de chuter. J’en étais arrivé à 700 euros par mois. La Caisse d’allocations familiales me réclamait des trop perçus d’allocations logement. Je me demandais comment on pouvait vivre avec 700 euros de revenus mensuels et devoir de l’argent à la C.A.F. Je commençais à faire l’expérience de la pauvreté. J’étais passé sous le seuil. La sobriété heureuse était-elle encore heureuse?

Mes voyants s’allumaient. L’inquiétude était une sensation bénéfique qui appelait à l’action. Réagir, M’arrêter. Faire le plein pour ne pas tomber en panne.

Je m’accrochais à mon emploi d’animateur, et, dans un dernier espoir, au théâtre. Un projet qui me tenait à coeur.  « La ferme des animaux » de George Orwell, ce journaliste-écrivain qui avait connu la dèche, ce que connaissaient les employés sous-payés, les gens à la rue en vivant lui-même leur quotidien.

Sans doute, était-ce sur ce fil, là où nous risquions de passer de l’autre côté, que la nécessité d’agir se faisait ressentir. Déployer nos ressources pour retrouver le bon côté de la vie.

Sur le fil du théâtre.

« La gloire de mon père » m’attendait.

Le visage radieux, si doux d’un homme, qui avait laissé pour les siens, ce qu’il avait de meilleur. Sa vie. Ses yeux. Ses histoires pour faire rire.

Une promenade au bord de l’eau.

D’heureux souvenirs.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 28 avril 2021

« A la quête du bonheur ».

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