Tour de passe passe partout le vol d’un oiseau

 

Les « Sages du Conseil constitutionnel » avaient validé « en partie » le projet de loi sur l’extension du pass sanitaire. « En partie ». Quelle était l’autre partie ? De quoi tenaient-ils leur sagesse, ces « Sages du Conseil institutionnel » ? De ces secrets de couloirs? De ces tours habiles de magiciens ? De cette autre partie inconnue qui se jouait dans mon dos ? Paris, ville de tous les paris, ne me faisait plus, depuis longtemps, rire. Je l’avais quittée pour l’océan et le ciel.

En France, l’étoile sanitaire serait obligatoire quasiment partout, le neuf août deux mille vingt et un, partout où je pouvais me retrouver avec d’autres gens, m’amuser, manger, boire un verre, écouter un concert, voir un spectacle… Et tout cela pour mon bien. Tour de passe passe adroit des Sages-hommes qui enfantaient une nouvelle ère de soumission obligatoire. Répétition maladroite des erreurs de l’Histoire.

Les vaccins déjà s’écoulaient sur les places devant les églises comme des petits pains. Ces petits pains croustillants qui m’empêchaient de contracter une forme grave de la maladie, Ces petits pains dorés tout mignons qui ne m’empêchaient pas d’attraper la maladie et de la transmettre à mon voisin. La maladie. Maladie d’amour et de toujours. Goût amer de ces petits pains soldés. Etaient-ils vraiment bons pour mes intestins ? Pouvais-je seulement en parler à mon médecin ? Ou au boulanger qui les avait fabriqués ? Quel boulanger ? Pas de réponse. Mon médecin était une femme en vacances injoignable à cette heure décisive.

Fatalité d’une histoire dont la fin était déjà écrite. Mes maux de tête s’agitaient dans leur bocal. Résister, combien de temps encore ? Ces coton-tiges finissaient par remonter dans mes naseaux de cheval errant, troublant mes pensées, les épuisant. Il me restait pour m’en délivrer qu’une piqûre, le vaccin du paradis injecté dans mes veines. Pénétrer le museau incliné dans le troupeau des Sages-hommes. La peur avait raison de tout. Mon cheval serait apprivoisé, une selle sur les reins, l’air de rien. Les harnais le protégeaient de sa chute finale.

Je le savais. Mes mots, mes faits et gestes étaient contrôlés dans ce drôle de cirque. Ce que je gagnais, ce que je dépensais, ce que j’écrivais, à quelles offres d’emploi je répondais, qui je connaissais, qui j’aimais. Toutes les cartes, de ma carte vitale à ma carte bancaire, tous les réseaux sociaux de mon ordinateur à mon smartphone étaient des toiles d’araignées qui m’encerclaient. Je n’étais pas dupe, je n’étais qu’une mouche. Big Brother m’épiait et je devais marcher dans son rang d’or pillé et d’argent factice bien sagement. La liberté m’était offerte sous la condition de m’y soumettre.

J’étais soumis. Je le criais, je le placardais. Soumis. Enfant docile. Le robot souriait de sa victoire, tenant ma crinière. Je ne sortais plus guère de ma maison. Le temps passait. Je lisais. J’actualisais mes données. Je préparais mes nouvelles lettres de candidature. J’étais le nouveau-né sage obéissant. Tous mes mots-clés étaient décryptés et je recevais aussitôt sur mon fil d’actualités une tonne d’informations sur les maisons, les emplois, les enfants, la sagesse, l’obéissance, la naissance. Je m’amusais à perdre les robots dans le labyrinthe de mes mots codés, croisés, enlacés. Ce mot qui en cachait un autre. Souvenirs de mes camarades résistants sous l’occupation. Je préparais mon exode. Mon exil à travers des plaines sauvages. Ma valise serait remplie de mes rêves. Ainsi, je quitterais la Terre comme j’y étais entré. Invisible à l’oeil nu. Indésirable du monde de chocs.

Voyage sur la ligne verte.

A Nantes, devant l’Opéra Graslin, nous étions conviés à tourner en rond ou à observer les autres tourner en rond. Une paire de patins à roulettes était gentiment offerte à la passante ou au passant pour un voyage sans fin. Tout tournait bien rond. Aucune issue possible. Cercle vicieux. Je n’avais plus faim de ces petits pains rassis. La pluie dégringolait, redoublait de puissance. La canicule n’était pas loin. La fin du monde approchait à grands pas. J’affrontais, seul, ce désastre titanesque. Inspiration de ces architectes contemporains. J’aurais préféré un jardin, une source où nous rencontrer, puiser des mots, des caresses et des baisers devant ce monumental théâtre aux colonnes antiques, inaccessible et fermé à double tours. Juste la maison d’un paysan au bord d’une rivière. Et des oiseaux. Et toi, et le vent. Aucun train, que la vie qui nous regarderait. Correspondance des sentiments et des souffrances dissimulées. Désirs inavoués de deux oiseaux sur un toit.

Je me taisais maintenant. Silence de la solitude et du temps. La pluie avait cessé. La nuit se vêtissait de sa plus belle robe.

« Où es-tu ? Quelle a été ton existence paisible… » (*)

Thierry Rousse

Nantes, Jeudi 5 août 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Francis Jammes, « Elégie onzième » in « Le deuil des primevères », Poésie / Gallimard.

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