Train de nuit

Sète 

Tu lui écrivais 

Elle te répondait

Tu lui répondais

Elle te répondait à nouveau 

Tu lui répondais de nouveau 

Et chaque jour 

L’habitude était prise

De vous correspondre 

Sans stylo

Sans emprise 

Toi et elle 

Elle et toi

A vous répondre 

Librement 

Et chaque jour 

Vous appreniez à vous connaître 

La conversation était plaisante 

Remplie d’humour 

Et de poésie 

Chaque jour s’écrivait la page d’un roman 

Vous y preniez goût 

Et de mot en mot

Délicatement 

Vous vous dévoiliez 

L’un à l’autre 

Feuille après feuille 

Sur écran interposé 

Le bleu et le jaune

Se mélangeaient 

Mais pas trop vite 

Mais pas trop vite 

Tu apprenais à te contrôler 

Si tu lui disais tout de toi

Elle n’aurait plus la curiosité

De découvrir chaque détail 

Chaque couleur 

Chaque recoin

De tes trésors cachés 

Alors tu ralentissais le flot de tes mots 

Même si tu voulais

Qu’ils ressemblent à des flèches sur les rails 

A des vagues de douceurs en son coeur 

Tu te censurais

Débordant d’une envie secrète

Être son ami pour la vie

T’attendais ses mots

Elle attendait les tiens 

Elle n’avait vu que ton visage grimé 

Un treize avril deux mille treize

L’horrible maître Gorgibus

Tu venais de jouer le père 

D’une précieuse ridicule

Elle était spectatrice 

Elle avait adoré votre comédie 

Elle avait bien ri

Tu lui avais souri 

Dédicacé une affiche dans le hall 

Signant le petit jardinier

Tu la trouvais exquise

Son visage 

Aux yeux verts

Un ange riant aux éclats 

Et vos mots à présent 

Toi au sud

Elle au nord

De la Seine-et-Marne 

Étaient de plus en plus féconds 

Le jour ne suffisait plus

A remplir vos heures 

Vous vous écriviez la nuit 

Sur vos écrans 

A toute heure 

Qui

D’elle ou de toi

S’afficherait le dernier mot

Vous en faisiez un jeu 

Le film le plus long 

Et la nuit était blanche habitée

D’une avalanche de mots étoilés 

Jusqu’au petit débarquement ensoleillé 

Vos stylos invisibles épuisés

A chaque gare arrêtés 

Elle recopiait tous vos SMS échangés 

Sur de grands cahiers à carreaux 

Dès fois que vos téléphones débordés 

Eurent voulu les noyer

Au fond de l’eau salée 

Mais déjà Montpellier 

.T’éprouvais l’heureuse sensation

De sortir enfin de ta solitude 

Cette épreuve si rude

Tu te sentais exister pour elle 

Elle t’écoutait

Tu l’écoutais 

Elle te comprenait

Tu la comprenais

Elle était attentive à toi

Tu étais attentive à elle 

Elle prenait de tes nouvelles 

Tu prenais de ses nouvelles 

Elle recevait de tes nouvelles 

Tu recevais de ses nouvelles 

Elle t’encourageait

Tu l’encourageais 

Elle te félicitait

Tu la félicitais 

Votre correspondance

Au gré des marées 

Rimait avec constance

Fidélité sécurité 

Mais déjà Nimes 

Le train filait à travers

L’obscurité des cimes 

Etait tombée

Quand soudain une lumière apparut

Ton cœur s’emportait 

Et déjà tu te voyais amoureux 

A Pâques tu remerciais

A genoux 

Ton Dieu sur la croix 

De ce miracle inespéré 

De cet amour fou 

Ressuscité 

Tu pensais avoir trouvé ta moitié 

A la sortie d’un théâtre 

A Courtry 

Seule ta lampe était allumée 

Que faisaient les autres passagers endormis 

Vers où filait ce train du paradis 

Quel serait le nouveau chapitre de votre roman

Vous en ignoriez encore le titre

L’heure était-elle venue 

De fermer déjà ce chapitre 

Les yeux en larmes

Éteindre le feu 

Qui avait existé 

Entre vous deux 

Le train à toute allure traçait 

Impatient d’oublier 

T’éteignais un temps

Ta lampe 

Dans la nuit de l’océan 

La mer à Sète était bleue 

T’aurais voulu qu’elle dure tout le temps 

Au bord des rochers

Un berceau tendre et mouvant

De ses yeux brillant

Un ralentissement 

Éblouissant 

L’ange inconnu 

S’apprêtait à te rencontrer 

Faisait la route 

Faisait des bonds

Et apercevait ton visage nu

Non plus ce Gorgibus autoritaire 

Sous ses mots enflammés

Mais ce jardinier

Perdu

Au bout du monde 

Au goût d’ailleurs

Cultivant

A Château-Landon 

Un petit chaton 

L’ange souriait 

T’avais préparé 

A la divine fée du nord

Le plus succulent des festins 

C’était le plus grand jour de ta vie

Sur le bord de la rivière 

Étincelante de perles d’or

Pour digérer vos mots 

Vous vous êtes promenés 

Votre romance avait bien commencé 

Au printemps 

Jusqu’au début de l’été 

Vous vous êtes vus

Et revus 

Vous couvrant de caresses 

D’arabesques de tendresse 

Mais soudain le train freinait

Était-ce une gare

Ou une embûche sur la voie

Quel était ton émoi 

Ce week-end 

Sur le chapiteau bleu

Le jaune s’effaçait 

T’avais la réponse à ta question 

Désolé je t’aime comme un frère 

Désolé si je t’ai fait croire autre chose 

Tu perdais au matin tous tes mots

Jardinier de ta tite fée 

Il était temps de te reposer 

Poser ton stylo 

Au fond de l’eau glaciale 

Marin solitaire 

Ose 

Tu songeais à une autre terre 

Il n’y avait pas de gare

Que l’océan de tes larmes

Sète était déjà loin de toi

Et ses joutes poétiques 

T’avais perdu ta demie

Sur la crique de tes rêves 

Le Christ saignait d’impuissance 

A unir les anges

T’avais froid dans le cœur 

Tu regardais les paquebots 

Tu rêvais d’Orient 

Fuyant l’Occident

Tu sauvais votre amitié 

Rejoignais dans le ciel 

L’amour spirituel 

Mais en cette nuit d’ivresse 

Se levait le vent d’une terrible bourrasque 

Quelle était cette gare au milieu de nulle part 

Saint-Peray du désert 

Valence ville 

Trouverais-tu ton île 

Tu voulais tout détruire 

Dans un cri d’errance 

Tu lui écrivais ces fleurs du mal 

Je veux en finir 

Déchire et jette à l’océan tous mes mots 

Elle prit peur aussitôt 

Te réclamant une trêve 

Tu ne cessais de lui écrire 

Te confondant d’excuses

Ne respectant pas sa requête 

De crainte de la perdre 

Tu finissais par la perdre 

Tu finissais par te perdre

 Train de nuit 

Train d’ennui

La solitude te gagnait dans les bois profonds

Tu touchais le fond du Morvan 

Tu louchais le fond du vent mort

Quelle serait la prochaine gare

Quel serait le prochain départ 

A quoi servent les phares 

Train de nuit 

Place assise 

Le sommeil te gagnait 

Lyon et puis la nuit de l’oubli 

Une nouvelle histoire s’écrit 

Pose tes mots

Au coeur des étoiles 

Quand ton cœur s’émoit

S’emballe 

Veut y croire

Encore une fois 

Elle le ressent 

Prend ses distances 

Délicatement 

Choisit ses mots

Les corriges

Et si cela ne suffit 

Pour éteindre les braises de ton coeur emballé

Elle espace ses messages 

Se durcit

Te met les points sur les i

Avec fermeté s’il le faut 

Et si cela ne suffit 

Si tu t’accroches encore à ses fleurs 

Elle décide de couper ses branches 

De te rejeter

Sur le sable des épines 

Et si cela ne te suffit encore 

Elle déballe son cœur de mots tranchants

Pointus comme des couteaux 

Dans la chair de tes sentiments 

Et tu ne reconnais plus son visage souriant

Et tu n’es plus le titi poète de son jardin 

Qu’un intrus qu’elle renvoie 

Au bout de l’océan 

La voix aiguë te réveille 

Paris Austerlitz 

N’a plus rien de romantique 

Que des jeux olympiques 

L’instant d’un café amer 

Déjà dans un autre train 

De la Méditerranée 

A l’Atlantique 

Se croisaient les courants 

Les souvenirs 

Les impressions 

Une compétition 

Dans le train du présent 

Un soleil aveuglant

Allez

Go

Se répéterait-elle la vie

Train de mots

A l’encre bleue 

Et jaune

Rajeunie

Train de nuits 

Fugaces

Fais-moi encore une place 

Près de toi

Thierry Rousse
Dans le train de nuit , de Sète à Paris
27 et 28 juillet 2024
"Une vie parmi des milliards"

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