« Confinement », ce nouveau mot était tombé dans ma boîte à pensées sans que je l’y invite, un lundi 16 mars 2020. L’expérience était inédite. Je l’accueillais comme une chance, la chance de pouvoir enfin marquer une pause au milieu de mon calendrier. Poser mes valises et réfléchir au sens de ma vie, ouvrir mes valises et réfléchir au sens de la vie. Ce confinement arrivait à point. Je commençais un bilan de compétences. Ce bilan se réaliserait à distance. Je me retrouvais ainsi seul face à moi-même, seul face à l’écran de mon ordinateur. Le soleil en ce début de printemps était, heureusement, généreux, en totale contradiction avec ce que nous vivions. Réfugié en haut de ma mezzanine et l’apercevant au loin qui me souriait, j’organisais avec méthodologie mes journées sans répit. L’organisation était un bon remède à la mélancolie. La raison canalisait mes sentiments. Une heure de marche chaque matin. Quatre heures de travail chaque après-midi à me récapituler tout ce que j’avais accompli dans ma vie, ce que j’avais aimé, ce que je n’avais pas aimé, ce que j’avais acquis, ce qu’il me restait à acquérir… A chaque repas, j’écoutais les actualités avec son flot de nouvelles angoissantes, voire tragiques mêlées à de plus heureuses, des guérisons, des applaudissements et une courbe qui redescendait après que nous eûmes atteint, victorieux, le point culminant. Je devais ma reprise de l’écriture au confinement. Au bout, se dessinait cette espérance du « Jour d’après » que nous faisait miroiter le Grand Chef. J’avais envie d’y croire à ce « Jour d’après », cet autre monde que nous construirions ensemble dans la fraternité, la justice, la solidarité, l’amour de la vie. Les rues étaient si calmes sans ces voitures, la nature si belle, si douce.
Qu’en était-il presque un an après, le dimanche 14 mars 2021 ? La Chine, où le coranavirus serait apparu, se glorifiait de devenir la première puissance mondiale et d’avoir chassé de son territoire l’ennemi. Le travail avait repris en France, excepté le travail des restaurateurs, des barmans, des artistes dont la finalité de leur ouvrage était d’être en relation avec leurs clients ou leur public… A en croire nos Chefs, restaurants, bars, musées, théâtres, cinémas étaient de hauts lieux de contamination. L’argument était absurde. Tout le monde voyait bien qu’on était serrés dans les bus, les tramsway, les métros ou à certaines files d’attente dans les supermarchés. Tout le monde savait bien qu’on ne pouvait pas tenir les mesures de distanciation dans les écoles ou les entreprises, et que de nombreuses personnes baissaient et remettaient leur masque sans respecter les consignes, ou, se retrouvaient à leurs domiciles à visage découvert. Le « Jour d’après » était décevant. Une nouvelle loi nous contraignait à rentrer chez nous pour 18 heures. Mesure tout aussi absurde. Les Chefs avaient cru bon de nous enseigner ce qui était essentiel de ce qui ne l’était pas. Etait essentiel le fait de travailler pour le Bien de la Nation. Quel était ce « Bien de la Nation » ?
Les artistes, à présent, occupaient, peu à peu, les théâtres de l’hexagone, afin d’exiger leur réouverture et la reprise de la vie culturelle. J’estimais cette revendication tout à fait légitime. De quel droit les Chefs autorisaient certains à travailler et le défendaient à d’autres? Ces directives autoritaires me paraissaient incohérentes, et, sans doute, répondre à des fins de stratégie politique.
Il me fallait bien tous ces chemins pour retrouver la quiétude de l’existence, marcher librement, le visage nu, respirer l’air pur, écouter le chant des oiseaux, contempler les éclats du soleil ondulant sur l’eau, à la surface de l’océan, des fleuves, des rivières, des ruisseaux… remonter jusqu’à la source de toute vie. « La poésie sauvera le monde » (*).
Je continuais de marcher au bout de ces allées rectilignes. Dès que je pouvais, je prenais le large sur un bateau. Une autre rive m’attendait. Un dock réhabilité. Je me glissais dans les sentiers des bois. Je ne savais pas pourquoi, mais, une voix, semblait, là, me retenir. Cette voix du coeur, près d’un moulin, avait quelque chose à me dire, quelque chose, ici, d’essentiel…
Thierry Rousse,
Nantes, dimanche 14 mars 2021
« A la quête du bonheur ».
(*) Jean-Pierre Siméon, « La poésie sauvera le monde », Le Passeur Editeur.