La plume, j’avais eu cette chance de la connaître. La plume, l’encrier, le buvard. A l’école élémentaire, j’étais un élève sage, un élève studieux. Les copains se moquaient de ma sagesse. Ils me reprochaient d’être le chouchou de la maîtresse. Alors, je m’étais mis à faire de grosses fautes pour avoir de petites notes afin qu’ils m’acceptent parmi eux. Cancre, je faisais enfin partie de leur bande, la bande des joueurs de billes qui aimaient la castagne, la bande des bonnets d’âne, la bande des copains pas sages.
Pourquoi parler de ce passé peu glorieux ? Quel rapport présent avec ce que je vivais ? Le Grand Chef y prêterait-il attention ? Sa cravate venait de quitter l’un de ces dîners clandestins. Les chiffres n’étaient pas bons.
Ma dernière représentation remontait à juillet 2020. « Le p’tit grain de sable ». Ma plus belle représentation. J’avais atteint un pic. Un spectacle que j’avais créé durant l’été 2016 et joué sur Le Remblai des Sables d’Olonne pour rebondir. Rebondir comme un ballon qui s’éleverait vers les oiseaux. Le ballon, en plein vol, avait crevé. Plus aucune date en perspective. Ce spectacle manquait-il à l’histoire de la vie ? Qui pouvait s’en soucier? Existais-je encore ? Je marchais sur la plage d’un passé aux traces effacées. Il me restait des images dans les yeux, des rires et des mots. « Il est beau, monsieur, votre spectacle ». Auprès de cette amie retraitée, je passais pour l’homme lunaire qui marchait à côté de ses sandales. Les rêves m’avaient joué un mauvais tour. La croisière s’arrêtait là. Le vent ne soufflait plus en ma faveur. J’avais beau agiter mon plus beau masque blanc. La reprise prévue à la mi-mai me ferait-elle une place sous son aile ? J’occupais avec détermination mon corps, mon âme et mon coeur, tel un artisan qui, chaque jour, se remettait à son ouvrage. De sa pierre, il voyait déjà une cathédrale. La maison aux tuiles provençales près de cette source me suffisait.
Je saisissais ma plume pour m’envoler. Je savais que, dans le ciel, des anges m’accompagneraient dans ce rêve. Qu’il était doux de vivre ensemble ! Ce qui me démangeait, au fond, était la vie, ce sentiment infini d’exister.
8045 nouveaux cas. Devais-je continuer de m’isoler ? Je remplissais à l’approche de minuit mon état d’aujourd’hui. Quel rond remplirais-je ? « Tout va bien », « J’ai des symptômes », « Je suis personne contact », « Je suis testé positif ». Les expressions des visages m’amusaient. « Tous, anti-Covid ! « . Je faisais partie de cette formidable équipe. Certes, au fond de mes pensées, j’aurais préféré appartenir à l’autre équipe : « Tous, pour la vie ! « . Existait-elle au moins, l’équipe qui enlaçait les arbres, les protégeait, les écoutait, les consolait, les admirait, les aimait ? L’appel de la forêt ? La sagesse des anciens ? Les Chefs s’en moquaient depuis des siècles.
Mes minuscules carnets, ainsi, de notes, se coloraient.
« L’esprit est un travail de soi sur soi. Même en dormant, il se poursuit. (…) Le travail spirituel est le travail de vivre, tout simplement ». (*)
Thierry Rousse
Nantes, mercredi 7 avril 2021
« A la quête du bonheur »
(*) Christian Bobin, « La nuit du coeur », Folio.